Message à l’attention du groupe de français rencontré à Locorotondo

Lundi 13 juin, nous fêtions les 1 an de notre départ en vélo. Un an c’est long pour tout le monde. Mais pour nous, cette année avait été particulièrement riche en découvertes, rencontres et expériences. De celles qui font grandir, évoluer, réfléchir.

Ce jour là, nous étions à Locorotondo et après avoir traversé la vieille ville, nous venions de nous poser à l’ombre, au point de vue sur la vallée. Depuis notre arrivée en Italie, nous croisons de très nombreux français. Des couples en vacances et des groupes en voyage organisé. Au moins 2 groupes de touristes sur 3 sont français. Et comme nos vélos attirent l’oeil (leur chargement surtout), nous avons souvent l’occasion d’échanger quelques mots avec eux. Ce fut le cas ce jour là, au belvédère. C’est toujours un plaisir de répondre aux questions et ce moment a été très sympathique. 

Mais en marge du groupe, se croyant peut être suffisamment loin pour ne pas être entendues, d’autres personnes n’étaient pas aussi bienveillantes. Croyant tout savoir de nous sans même nous avoir adressé la parole, s’appuyant sur les dires d’amis d’amis qui auraient vécu le même genre d’expérience, elles nous ont jugé. C’est à elles que ce message s’adresse. 

Les critiques ont essentiellement concerné les enfants. Leur éducation (ou plutôt l’absence d’éducation puisque qu’il faut nécessairement une formation pour éduquer ses enfants). Selon elles, ils seraient désocialisés.  « Ils n’auront plus d’amis quand ils rentreront« . Cette remarque a beaucoup peiné Gaëtan qui ne voit pas pourquoi il ne retrouverait pas ses amis à la rentrée de septembre. Mais ce n’est pas tout : l’absence de règles pendant un an les rendraient incapables d’en suivre ensuite à notre retour. Les enfants qui vivent ce genre d’expérience deviendraient sûr d’eux, voir arrogants, insolents. Et comme nous avons probablement vendu notre maison (première nouvelle !), les enfants « n’auront plus de repères« . 

Quand ces propos m’ont été rapportés, ma première réaction a été de ne pas y répondre. Ces gens n’avaient pas recherché le dialogue, pourquoi seraient-ils plus disponibles maintenant ? Mais finalement, j’y ai trouvé une occasion de faire le point sur ce que ce voyage a pu apporter aux enfants, en repartant des reproches qui nous ont été faits.

Je souhaite en premier lieu parler des règles. Comment imaginer que l’on puisse passer une année entière les uns sur les autres 24h sur 24 sans un minimum de règles ??? Ces règles, il est d’ailleurs souvent nécessaire de les faire évoluer pour s’adapter au contexte. Les règles ne sont pas les même selon que l’on circule en vélo sur une route avec des camions (Bulgarie) ou que l’on dort en plein milieu d’une réserve à côté des lions (Botswana). Cela demande de l’adaptation. Mais aussi de la pédagogie. Expliquer, donner du sens. Des choses que l’on oublie trop souvent. 

Concernant leur année scolaire, nous ne sommes pas partis la fleur au fusil. Le confinement en 2020 nous a déjà bien aidé à nous préparer. Nous avons aussi soigneusement choisi notre date de départ pour éviter des années qui nous semblaient charnières (le CP par exemple). Nous avons rencontré les maîtresses avant notre départ pour discuter des points essentiels à traiter durant l’année et acheté les livres de français et de math pour les 2 grands. Nous ne sommes pas non plus « hors la loi ». Notre année d’éducation « à la maison » est déclarée auprès de la mairie et de l’éducation nationale.

Bien sûr, l’apprentissage n’est pas aussi structuré que si les enfants étaient à l’école et nous n’avons pas la prétention de faire aussi bien que les maîtresses de l’école de Beauchêne (bravo à vous, on se rend bien compte que vous avez un métier difficile !). Mais les enfants travaillent l’écriture, la grammaire, l’orthographe presque tous les jours (week-end inclus) en écrivant leur carnet de voyage. Côté mathématiques, le voyage se prête bien aux exercices pratiques. On fractionne des étapes, on calcule des moyennes, on convertit des pesos … Et les langues ? Dans chaque pays, les enfants ont appris quelques mots (à part en Hongrie, toutes nos excuses aux hongrois). Ils savent même dire leur âge en damara (un dialecte parlé en Namibie). En anglais, allemand, serbe, bulgare et grec, cela se limite à quelques mots. Ils sont allés un peu plus loin en espagnol et maintenant en italien. Je ne dis pas qu’ils se souviendront de tout, mais cela reste formateur pour la suite de leurs études. 

Le choix de voyager en vélo en Europe avait aussi pour but de rendre concret ce continent où ils sont nés, où ils grandissent. Mais également l’union européenne, si importante en ce moment. Je pourrais aussi parler des musées ou des multiples visites que nous avons faîtes. Les inventions d’Archimède, l’exploitation du café et du cacao n’étaient pas dans le programme officiel de CE2 ou du CM2 mais qu’est ce que c’était intéressant ! 

La socialisation ? Elle est naturelle en voyage. Nous ne sommes pas des ermites. Nous rencontrons des gens, des familles avec des enfants. Des français, des belges, des allemands, des serbes, des bulgares … Il ne faut pas croire que c’est facile d’aller vers des enfants que l’on ne connait pas, dont on ne parle pas la langue, qui ont une autre culture. C’est un apprentissage de la tolérance et de la différence. Et bien sûr, ils retrouveront leurs copains en rentrant en septembre. 

Qu’est ce que le voyage en vélo apporte d’autre ? La liste serait trop longue mais pour les enfants, je voudrais mettre 4 points en avant :

  • Vivre avec moins : moins de confort, moins d’affaires, moins de choix. 3 t-shirts par personne (dont un sert de pyjama), toujours le même pantalon, la même veste. Presque pas de jouet (mais comme ils ramassent tout ce qu’ils trouvent, nous transportons maintenant un avion en polystyrène, 3 balles en mousse et 2 balles de tennis). Quand je pense aux placards plein de vêtements et aux étagères pleines de jouets qu’ils ont en France … Bien sûr, certaines choses leurs manquent mais ils apprennent à s’en passer. C’est un apprentissage de la juste consommation. Et pour nous, c’est aussi apprendre à vivre sans stock (qu’est ce qu’on fait comme réserves quand on est en France !!!). 
  • Le sens de l’effort : quand on voyage en vélo, il faut pédaler. Cela ne se fait pas tout seul. Et parfois c’est très dur. On a l’impression qu’on n’y arrivera pas. Mais même s’il faut parfois pousser le vélo, les enfants finissent toujours par aller jusqu’au bout. Et quand c’est vraiment dur, nous nous entraidons. A plusieurs pour pousser un vélo, c’est plus facile. Ils apprennent à faire face à un obstacle, à y aller doucement et à ne pas abandonner.
  • Vivre en harmonie avec la nature et vouloir la préserver : voyager en vélo, c’est apprendre la lenteur, s’adapter à la météo (et les enfants sont bien meilleurs que nous là dessus, c’est surtout moi qui râle quand il y a trop de moustiques ou qu’il pleut). Voyager en vélo, c’est aussi remarquer toutes ces choses qu’on ne voit pas quand on passe à toute vitesse en voiture. S’intéresser à ce qui vit tout autour de nous, les petites bêtes, les plantes. Et ne plus supporter de voir tous ces déchets abandonnés.
  • Expérimenter les notions d’accueil, de générosité, d’hospitalité : de grands mots, parfois un peu abstrait pour des enfants, mais qui ont pris un vrai sens au cours de ces 12 mois. Ce sont les encouragements, les sourires, les « bravo » sur notre passage. Ce sont ces inconnus qui ont rempli nos bouteilles d’eau, offert de la nourriture ou partagé un moment avec nous. Qui se sont inquiétés aussi pour nous. Ce sont des familles qui nous ont ouvert la porte de leur maison pour quelques nuits. Ces expériences nous ont tous marqués. Et soulève la question suivante : en aurions nous fait autant à leur place ?

Mais ce voyage, c’est aussi une formidable aventure en famille. Nous découvrons nos enfants sous un nouveau jour. Nous les voyons grandir, évoluer. Nous les accompagnons et essayons de leur transmettre nos valeurs. En France, lors d’une journée d’école classique, nous passons au maximum 4h30 avec eux (1h30 le matin, (et encore, avec un œil sur 2 ouvert) et 3h le soir), essentiellement consacrées à de la logistique, repas, devoirs,  etc. Ces dernières années, je n’ai pas l’impression d’avoir été vraiment disponible pour répondre pleinement à leurs questions, d’avoir eu le temps (et l’envie) de me poser pour parler avec eux de sujets aussi variés que les problèmes de Rodrigue et de Chimène, le harcèlement à l’école, les pesticides ou les bêtises que je faisais quand j’étais petite (aucune bien sûr !). Cette année, nous avons abordé tant de sujets ! Car ils ne se privent pas de nous bombarder de questions sur tout ce que nous pouvons voir autour de nous ou de réagir à l’actualité en France ou locale.

Je ne voudrais pas laisser croire que tout est idyllique. Il y a des disputes, des jalousies, des punitions, des contestations. Sur certains points, nous sommes un peu déçus. Nous espérions plus d’autonomie, plus d’entraide ente les enfants. Il faut répéter certaines choses chaque jour depuis des mois. Mais cela serait-il si différent si nous étions restés en France ?

Alors oui, nous sommes fiers de ce que nous avons réalisé. Oui, nos enfants ont certainement pris confiance en eux. Et c’est une bonne chose. Pour en avoir moi même beaucoup manqué quand j’étais enfant, je suis heureuse de leur avoir offert cette expérience de vie.

Une rencontre parmi tant d'autres

Cette dernière partie s’adresse au monsieur qui a pris l’adresse du blog. Nous ne souhaitons pas vous mettre dans une position délicate en vous demandant d’être le messager. Libre à vous d’informer ces personnes de notre réponse. Nous profitons aussi de cet article pour vous donner notre adresse email. Ainsi, si cela vous intéresse, nous pourrons vous envoyer les photos du village prise avec le drone. Vous pouvez nous écrire à celine.vanda@laposte.net

Bonne continuation dans votre voyage

4 réflexions sur “Message à l’attention du groupe de français rencontré à Locorotondo”

  1. Bon courage à toute la petite famille.
    Il faut profiter lorsque l’on est jeune et que les enfants aussi.
    Pas de vélos pour notre famille mais bcq de camping, randonnées assez tard avec nos jumeaux jusqu’à 25 ans. Ensuite ils sont partis ts les 2. QUE DE SOUVENIRS !!!!

  2. Soyez fiers de vous les amis! Et nous sommes sûrs que vos petits vont bien. Vivre différemment n’est pas toujours « bien vu », nous en savons quelque chose, en tant que famille bi-nationale et bilingue, mais tellement enrichissant, si c’est la voie qu’on a choisie. Bises à vous tous, Béa

  3. Bonjour Céline et Mickaël,
    Je vous ai vu grandir, devenir amoureux et devenir les supers parents que vous êtes.
    Bonjour es enfants, soyez fiers de vos parents, il n’y a pas de model pour devenir parents, mais le temps passé ensemble n’a pas de prix ! C’est un trésor que vos parents vous offre, il créera votre imaginaire et vos rêve tout au long de votre vie. Faites leurs pleins de câlins de ma part.
    Jmi

  4. Bravo à tous pour cette superbe expérience que vous avez fabriquée et que nous avons eu le grand plaisir de suivre!
    Aucun doute que les enfants reviendront plein de nouveaux outils et de richesses à partager!

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