Attention, spoiler ! Si vous cherchez un mignon petit village loin des touristes et une immersion dans le quotidien des travailleurs du café en Colombie, n’allez pas plus loin, vous êtes au bon endroit. Filez à Buenavista et contactez Don Léo, de la plantation Hane. Mais surtout, ne lisez pas la suite, ce serait dommage de ne pas entendre son histoire directement de sa bouche !
Le joli village de Buenavista se dévoile au petit matin. Nous avons rendez-vous sur la place principale du village, avec Don Léo. La visite commence ici, autour d’un café de sa plantation (la « cafateria » du village sert exclusivement du café de Don Léo), ce qui nous permet de faire connaissance. Nous avons trouvé Don Léo via la Lonely planet mais surprise, le principal intéressé ne savait même pas qu’il était dans le guide !
Après notre dégustation de café, nous partons à pied avec Don Léo qui va nous raconter son histoire le long du chemin qui descend à la finca.
Comme bon nombre de paysans de la région, Don Léo a débuté très jeune comme cueilleur de café pour un propriétaire. Le travail était difficile, mais les employés étaient bien traités par les patrons.
A 8 ans, le petit Léo était nourri, logé, et surtout considéré comme les enfants de la famille et vivait dans la même maison que les patrons. A cette époque, le Brésil était le principal pays producteur de café et la Colombie arrivait juste après (mais première en qualité). Mais au cours de l’année 1975, un évènement climatique exceptionnel va venir chambouler le monde du café ! Au Brésil, 2 jours de neige et de grand froid ont suffi à détruire une grande partie des plans de café du pays, et donc de sa production pour plusieurs années.
Le prix du café colombien a instantanément été multiplié par 10.
Plutôt une aubaine pour la Colombie, mais les conséquences sur le quotidien des travailleurs du café ont été assez inattendues. Cela a complètement transformé les relations humaines dans les fincas : les patrons autrefois proches de leurs employés sont devenus très riches. Ils ont agrandi leurs fincas en rachetant toutes les parcelles possible pour former des haciendas. Ce changement d’échelle impliquait alors d’embaucher un cuisinier, construire un dortoir, etc… Fini le travail en famille, les patrons se sont éloignés de leurs employés et la situation de ces derniers s’est considérablement dégradée. Parmi les exemples cités par Don Léo, celui du cuisinier est assez représentatif : ce dernier, pour optimiser ses propres revenus, réduisait la qualité et la quantité de nourriture, sans que le patron ne se rende compte de quoi que soit, vu qu’il ne partageait plus les repas des travailleurs. Dans les logements aussi, la vie est devenue difficile. Absence de sanitaire, boissons, jeux d’argent toute la nuit … Les enfants qui débarquaient dans ce genre d’endroit n’avaient aucune chance d’échapper à cette spirale infernale.
Pas de ruissellement en Colombie à cette époque là.
La soudaine richesse des producteurs de café n’a pas du tout été partagée équitablement. Au contraire, elle a conduit les employés dans plus de précarité alors que les propriétaires agrandissaient leurs exploitations pour s’enrichir davantage. Et tout cela a conduit de nombreux travailleurs à se révolter et à se tourner vers la guerilla.
Don Léo ne voulait surtout pas se retrouver dans la guerilla mais il ne supportait pas non plus les conditions de travail dans les plantations de café. Aussi, il n’a pas hésité longtemps lorsqu’il a entendu parler d’un travail 5 fois plus rémunérateur sur la côte caraïbe. Il fallait des cueilleurs et c’est ce qu’il savait faire. Sauf qu’il ne s’agissait pas de café mais de marijuana. Les conditions n’étaient pas bien meilleures et il était séparé de sa famille mais les revenus étaient attractifs. Peu à peu, la situation s’est également dégradées du fait des rivalités entre trafiquants. Après avoir échappé de peu à la mort, avec 2 autres ramasseurs, dans une fusillade qui a fait 12 morts , il a finalement décidé de rentrer au pays.
Après la côte Caraïbe, l’Amazonie
A peine avait il repris la triste vie des travailleurs du café qu’une nouvelle opportunité s’est présentée à lui. Laissant femme et enfant à la maison, Don Léo s’est retrouvé à faire la cueillette en Amazonie. Après la marijuana, il découvrait la coca ! Là encore, les conditions étaient rudes car il vivait sur l’exploitation, au milieu de la jungle. Grace à sa longue expérience de cueilleur, Don Léo travaillait vite et après sa journée de travail il allait regarder ce qu’il se passait dans le « laboratoire ». C’était extrêmement artisanal. Le chimiste, un homme assez âgé, faisait des mélanges de produits un peu à la louche sans rien peser. Lui seul détenait le savoir pour confectionner la cocaïne et il le gardait jalousement. Cependant, à force de l’observer, Don Leo s’est rendu compte que le vieux chimiste commençait à avoir des tremblements. Il nous expliqua qu’à ce moment précis, il fut très heureux car il comprit que le chimiste était malade (c’était le palu) et qu’il finirait par être remplacé. Le vieux s’est accroché le plus possible mais il est arrivé un moment où il ne fut plus capable de manipuler seul les bidons. Il a donc du se résoudre à demander de l’aide à Don Léo, en lui proposant de le rémunérer. Mais ce n’est pas ce que cherchait ce dernier : il refusa d’être payé mais accepta de l’aider, à l’unique condition que le chimiste lui explique le processus de A à Z. Le chimiste lui reprocha de profiter de la faiblesse d’un homme malade, mais il n’eut pas d’autre choix que de coopérer. Notre guide a donc appris comment extraire la cocaïne des feuilles de coca. Lorsque l’ancien chimiste n’a plus été en mesure de travailler, il a été mis dans une pirogue pour rejoindre un hôpital. C’est la version officielle que personne ne s’est amusé à contester (mais il a probablement plutôt servi de repas aux piranhas). Toujours est-il qu’on ne l’a jamais revu et que Don Léo a pris sa place.
Petite pause dans l’histoire : il faut imaginer que tandis que Don Léo nous raconte ainsi les différentes étapes de sa vie, nous sommes en train de marcher sur le chemin de terre qui mène à sa finca. Il fait beau, la nature autour de nous est magnifique. Il est difficile d’imaginer que l’homme tranquille qui marche avec nous ait été, à une époque, un fabriquant de cocaïne au fin fond de la forêt amazonienne. Lui même d’ailleurs nous explique qu’il avait des moments de lucidité, où il se faisait horreur et où il se rendait compte que sa vie n’avait plus rien à voir avec les valeurs que lui avaient inculqué ses grand-parents.
Lorsqu’il reçut sa première paye, c’était comme s’il avait gagné au loto.
Ils n’étaient payés qu’une fois de temps en temps. Lorsqu’il reçu sa première paye après plusieurs mois à faire le chimiste, cela fut un électrochoc. Il s’est rendu compte du piège dans lequel il s’était lui même enfermé. D’un côté il détestait la personne qu’il était devenu et de l’autre il se rendait compte qu’on ne le laisserait jamais partir vivant. Il connaissait trop de choses, trop de chefs … Il a donc décidé de fuir. En pleine nuit, il est parti à pied dans la jungle. C’était extrêmement risqué mais il n’avait plus rien à perdre.
Il a marché plusieurs jours avant de finir par tomber épuisé, sur des habitations où il a pu reprendre des forces et finir par quitter définitivement l’Amazonie.
Avec l’argent gagné il s’est occupé de sa famille et a acheté un commerce qui a bien prospéré. Au fil du temps, il en a acheté d’autres jusqu’au moment où un voisin l’a traité de « riche », ce qui a été un autre électrochoc.
Il a tout vendu et est retourné à sa première passion, le café.
Il a donc racheté une finca de café pour y travailler selon les principes d’autrefois, c’est à dire en considérant ses employés comme sa famille. La vie n’a pas été facile pour autant. Les coopératives achètent le café à un prix très bas. Don Léo s’est battu pour continuer à faire du café selon ses convictions. La bonne qualité de son café, validée lors de concours, lui a permis d’obtenir un meilleurs prix à la coopérative mais aussi de devenir le fournisseur exclusif de plusieurs vendeur de café.
Nous ne verrons plus le café de la même façon après ce récit.
C’était passionnant d’écouter notre guide nous raconter comment et pourquoi des petits paysans colombiens peuvent se retrouver à participer à la production de cocaïne. Son histoire personnelle nous a beaucoup touchés. Don Léo a à coeur de raconter son histoire, pour transmettre, expliquer, mettre en garde. Il a particulièrement apprécié les nombreuses questions des enfants qui ont, eux aussi, écouté son histoire à travers nos traductions.
Visite de la finca
La suite de la visite se déroule dans l’exploitation au milieu des caféiers et des bananiers, mais aussi de très nombreuses autres plantes et arbres fruitiers. Contrairement à ce que préconise la coopérative du coin, Don Léo a gardé plusieurs essences de plantes différentes pour ne pas affaiblir le sol, plutôt que de ne planter que des plans de café et les arroser de produits chimiques (vendus par la coopérative de café). Du coup, son café est bio et il produit aussi de la banane plantain.
Il nous montre également son matériel et nous détaille les étapes pour sécher les grains de café puis enlever l’enveloppe (c’est différent de la méthode traditionnelle qui consiste à enlever l’enveloppe avant le séchage). Les grains sont ensuite triés par taille afin d’optimiser le temps de torréfaction à chaque taille de grain (si on fait tout griller ensemble, certains grains seront trop cuits et d’autres pas assez). Les grains sont encore triés à la main pour enlever ceux qui ont des défauts (et qui finissent à la coopérative). C’est grâce à tout ce travail qu’il obtient une très bonne qualité de café et la 2ème place lors d’un concours où participaient tous les producteurs de la région.
Une pause s’impose.
Il est temps de nous mettre à table à l’ombre, pour déguster un repas typique de Colombie. Les enfants ne résistent pas bien longtemps à l’appel du trampoline qu’ils partagent avec la petite fille de Don Léo. Elle est toute heureuse d’avoir trouvé des copains avec qui jouer et ne se laisse pas impressionner par les garçons !
Retour en jeep Willys, une institution en Colombie
Etant donné que nous avons nos propres voitures, l’occasion ne s’étaient pas encore présentée de monter à bord d’une jeep Willys.
Très populaires dans la région, c’est le moyen de transport par excellence pour emmener des touristes sur des routes escarpées. Il s’agit des surplus des jeeps de l’armée américaine qui datent de la 2nde guerre mondiale. En général, elles sont garées autour de la place centrale du village, et sont peintes de couleurs vives. L’arrière est aménagé avec 2 banquettes pour s’asseoir au dessus des roues. Ce n’est pas très rapide, mais c’est capable de passer sur n’importe quel chemin escarpé. Nous n’avions pas beaucoup de route à faire pour rejoindre le village mais l’occasion de grimper dans une jeep willys était trop belle pour qu’on la laisse passer !
Nous avons du mal à quitter le si joli village de Buenavista. Sa place principale est si agréable avec ses maisons colorée, et si tranquille ! Nous y trouvons même une ferreteria pour acheter une machette (sans machette en Colombie, c’est un peu comme si on avait un bras en moins !).. Comme ça, quand on aura des cocos dans le jardin à Marseille, dans quelques années, on aura de quoi les ouvrir !